Existe-t-il toujours une dualité emphytéotique ?
L’article L 145-3 du code de commerce prévoit dans sa première phrase que les dispositions du statut des baux commerciaux ne sont pas applicables aux baux emphytéotiques sauf en ce qui concerne la révision du loyer.
Cet article ne posait guère de problème quand à son interprétation dès lors que ces baux présentaient un caractère commercial. Et la révision du loyer s’effectuait si nécessaire selon les règles applicables du statut. La cour de cassation en effet jugeait que la révision du loyer selon ces textes n’était applicable qu’autant qu’ils présentaient un caractère commercial, industriel ou artisanal (Com. 11 juillet 1961, Bull. 1961-3-279, Ann.L.1962-131).
La jurisprudence ultérieure, il est vrai peu abondante sur ce sujet, était en ce sens. Un autre arrêt de la cour de cassation était encore très clair : « …le prix pouvait en être révisé par application des dispositions du décret du 30 septembre 1953 » ( Civ. 3°, 11 juin 1986, Bull. n°93, p.74).
La doctrine ne trouvait rien à redire. Voir notamment : M. Pédamon, Baux commerciaux, 1979, p.25 ; Robert Martin, René Maus et Pierre Lafarge, Manuel des baux commerciaux, Dalloz 1957, n°49, p.38 ; J. Deruppé, René Maus, G. Brière de l’Isle, R. Lafarge, Manuel des baux commerciaux, D 1979, n°47, p. 27 ; Jean Pierre Blatter, Traité des baux commerciaux, 5° éd., Le moniteur, 2012, p. 49 ; Anne d’Andigné-Morand, Baux commerciaux, 16 ° éd. Delmas, 2012, n° 22-12 ; Jean Debeaurain, Guide des baux commerciaux, 17° éd. Ann. Loy. 2013, n° 107.
Mais la cour de cassation dans une curieuse décision du 19 février 2014 (civ. 3°, n°12-19270) écarte une telle révision au motif soulevé d’office que les dispositions des articles L 145-3 et L 145-33 du code de commerce ne s’appliquent pas au loyer du bail emphytéotique prévu à l’article L 451- 3 du code rural au terme duquel le preneur, titulaire d’un droit réel pendant sa durée, ne bénéficie d’aucun droit au renouvellement ni à indemnité d’éviction. On ne voit pas la nécessité de rappeler ces deux évidences (Ce raisonnement laisse perplexe également Mme Lipmann-Boccara, Adm., mai 2014-36) pour écarter la révision de l’article L 145-3 du code de commerce, sauf à admettre une réalité emphytéotique qui doit être caractérisée dans chaque contrat. Autrement dit le bail emphytéotique établi par référence aux articles L 451-3 et suivants du code rural et qui a priori a une vocation rurale serait soumis à ces seuls articles, tandis que celui établit exclusivement ou complémentairement au visa de l’article L 145-3 du code de commerce bénéficierait éventuellement de la révision statutaire en raison de sa vocation commerciale. L’arrêt nous renseigne peu sur la rédaction du bail si ce n’est que l’activité déployée était de nature commerciale. La cour de cassation ce serait- elle attachée uniquement à la lettre du contrat ? C’est peu probable. A moins qu’elle soit peu encline à favoriser ces baux dérogatoires ! Quoi qu’il en soit, les praticiens doivent rester prudents malgré tout dans la façon de rédiger ces baux, car cet arrêt, par sa publication au Bulletin, n’est pas anodin.
Me Jean Debeaurain