Le contentieux des chemins d’exploitation

Le contentieux des chemins d’exploitation est toujours vivace même au plus haut niveau de juridiction. Il est vrai que les questions de propriété sont passionnelles…

Sur une année les questions abordées par la cour de cassation étaient relativement classiques.

Sur l’ensemble, voir « Guide des chemins et sentiers d’exploitation », Jean Debeaurain, Edilaix, 5° édition, sept. 2014).

Urbanisation des chemins d’exploitation

La vocation urbaine des parcelles desservies n'est pas exclusive de la qualification de chemin d'exploitation. Dès lors qu'elle constatait que le chemin servait à desservir des maisons d'habitation avec des jardins, potagers ou d'agrément, la cour d'appel a violé le texte susvisé (Civ. 3°, 11 février 2016, n° 14-14981, 14-15697).

Quéreu

Ayant relevé que les équipements, y compris les plantations, installés par un usager n'empêchaient pas le « quéreu » de satisfaire à l'utilité commune à laquelle il était destiné, ce dont il se déduisait qu'ils étaient compatibles avec les droits des autres riverains, la cour d'appel a pu rejeter la demande  d'avoir à retirer les bacs à fleurs et les plantations (Civ. 3°,3 décembre 2015, 14-18834).

Recherche de l’intérêt pour le fonds desservi

Tout en constatant que, dans sa configuration actuelle, le chemin prend naissance au n° 682 de l'avenue des Amandiers, qu'il dessert de part et d'autre de son tracé Sud-Nord différentes parcelles et aboutit entre des parcelles situées à l'Est et les parcelles 766 et 987 à l'Ouest, qu'entre 1996 et 2003 un accès piétonnier était possible depuis les parcelles appartenant aujourd'hui à la société jusque vers ce chemin, et que l'association des propriétaires riverains du chemin avait refusé en 2004 l'accès à ce chemin sauf en cas de nécessité pour les véhicules de secours, sans examiner les attestations de MM. Z... et A... produites par la société afin de démontrer que le chemin litigieux desservait ses parcelles et sans rechercher si ce chemin présentait un intérêt pour le fonds de la société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision (Civ. 3°,3 décembre 2015, n°17442).

Chemin utile à l’ONF

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 17 décembre 2013), que l'Office national des forêts (l'ONF), propriétaire de parcelles forestières, a assigné M. et Mme X... en suppression d'une barrière que ceux-ci avaient implantée sur une parcelle limitrophe à usage de chemin dont l'ONF revendique la qualification de chemin d'exploitation ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que l'ONF a reconnu ne pas avoir besoin de ce chemin pour la gestion et l'exploitation de la forêt domaniale, de sorte qu'il ne pouvait être qualifié de chemin d'exploitation ;

Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que le chemin servait à l'ONF pour élaguer ses arbres de lisière, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé  (Civ. 3°, 16 septembre 2015, n°14-13563)
 

Charges d’entretien- non -participation -Abstention ne valant pas à elle seule renonciation aux droits sur le chemin

A supposer qu’un riverain n'ait jamais contribué aux charges d'entretien du chemin d'exploitation, cette abstention ne vaut pas à elle seule renonciation de ses droits sur le chemin d'exploitation ( Civ. 3°,13-27315).

Communication entre les fonds

Ayant retenu que le chemin litigieux ne servait pas exclusivement à la communication entre les fonds ou à leur exploitation, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il ne pouvait de ce fait être qualifié de chemin d'exploitation (Civ. 3°, 22 octobre 2015, n° 14-17617;

Présomption de propriété

Pour accueillir la demande de la commune de se voir déclarer propriétaire du chemin, l'arrêt, après avoir jugé que le chemin était un chemin d'exploitation, retient que la présomption d'appartenance aux riverains est renversée par la production d'un courrier du demandeur du 6 décembre 1974 évoquant un bornage entre terrains respectifs et d'une délibération du conseil municipal du 31 janvier 1974 démontrant que la commune se considérait comme propriétaire du chemin. En statuant ainsi, par des motifs impropres à renverser la présomption de propriété des riverains du chemin d'exploitation et à caractériser une renonciation dépourvue d'équivoque à tout droit de propriété sur le chemin, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision  (Civ. 3°, 29 septembre 2015, n° 14-16486).

Force probante des attestations-appréciation des juges du fond

Ayant relevé que M. Y... produisait des attestations de MM. Gaston et Gilles A... dans lesquelles ceux-ci relataient que le chemin servait à l'exploitation des champs... depuis 1948 ou depuis plus de dix ans pour moissonner les terres de M. Y... et que, dans une autre attestation établie le 21 août 2012, M. Gaston A... précisait que le passage d'engins agricoles pour accéder à la propriété Y... se faisait par le chemin dit... qui permettait le passage des moissonneuses batteuses desservant le quartier, la cour d'appel, qui a apprécié souverainement la portée et la valeur probante des attestations, a pu en déduire, sans se contredire, que ces pièces n'établissaient pas avec certitude que le chemin dit... avait servi à l'exploitation des terres de M. Y... ;

D'autre part, qu'ayant constaté que l'acte de partage du 16 mars 1972 ne mentionnait pas de chemin d'exploitation, qu'il résultait de cet acte que la desserte normale du lot attribué à M. Y... se faisait par le chemin rural n° 95, que des courriers échangés en 1977 et 1978 mettaient en évidence que l'utilisation du chemin lui était refusée et qu'aucune pièce ne permettait d'établir, de manière certaine, qu'entre cette époque et la date de l'assignation, le chemin dit... avait servi à l'exploitation de ses terres, la cour d'appel,  en a à bon droit déduit qu'il ne s'agissait pas d'un chemin d'exploitation, a légalement justifié sa décision (Civ. 3°, 7 juillet 2015, n°13-19994).

Aménagement-défaut de viabilité (non invoqué)-suppression-unanimité

Ayant constaté que les parties s'accordaient à reconnaître que la parcelle n° 855 était desservie par un chemin d'exploitation d'une largeur de 1, 60 mètre empruntant notamment la limite nord des parcelles n° 2466 et 268, la cour d'appel, devant laquelle il n'était pas invoqué un défaut de viabilité de ce chemin, a retenu à bon droit que le régime des servitudes n'était pas applicable aux chemins d'exploitation et que M. X... ne pouvait imposer aux riverains un nouvel aménagement (Civ. 3°,24 juin 2015, Bull., n° 14-12999) ;

Le régime des servitudes est distinct de celui des chemins d’exploitation. Ce dernier implique le plus souvent l’accord unanime des riverains.

Chemin d’exploitation-fonds terminus séparé par un fossé mitoyen-pont d’accès

Ayant relevé que le chemin d'exploitation litigieux desservait le fonds de M. X..., et se poursuivait en chemin rural, ce dont il se déduisait qu'il aboutissait au dit fonds, et servait à la communication des divers fonds entre eux, la cour d'appel, abstraction faite d'un motif surabondant relatif à la limite des fonds et au caractère contigu des fonds avec le chemin, en a exactement déduit que M. Y... n'était pas fondé à faire interdiction à M. X... de pénétrer sur ce chemin ( Civ. 3°, 9 juin 2015, n°14-14225).

Les fonds étaient séparés par un fossé mitoyen, mais on pouvait accéder au fonds terminus semble-t-il par un pont  qui l’enjambait.  

Chemin rural-Acquisition par prescription de son assiette

Ayant relevé que le chemin était partiellement obstrué par des arbres très anciens rendant le passage impraticable, qu'il était par endroits rendu invisible par la végétation et par des arbres couchés en son travers, que les plans cadastraux ne permettaient pas de déterminer avec certitude son emplacement, que pour partie il débouchait sur des parcelles privées et pour partie menait à une impasse, que son tracé était partiellement incorporé dans la propriété de M. et Mme X... à usage de cour et supportait des canalisations datant, selon des témoins, de 1965 ou de 1946 et qu'une clôture ancienne était implantée sur son assiette longeant la parcelle F 331 appartenant aux époux X..., la cour d'appel, qui a souverainement retenu que le chemin n'était pas affecté à l'usage du public et que M. et Mme X... avaient exercé pendant plus de trente ans sur cette assiette des actes de possession matérielle, en a déduit, à bon droit, que M. et Mme X... avaient acquis par prescription la partie du chemin longeant et traversant leurs parcelles et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision  (Civ. 3°,9 juin 2015, n°14-12383).

Le droit de propriété ne s’éteint pas par le non usage. Cette règle vaut également pour les communes qui sont propriétaires de leurs chemins ruraux. Mais la prescription acquisitive est toujours susceptible de remettre en cause le principe de perpétuité. C’est alors une question de preuve.

Le 1° avril 2016

M° Jean Debeaurain