Fixation de la valeur locative d’un loyer binaire

Par deux  arrêts de principe, la cour de cassation met fin aux divergences jurisprudentielles qui s’étaient manifestées jusqu’ici, au visa de l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et de l'article L. 145-33 du code de commerce, en ces termes :

La stipulation selon laquelle le loyer d'un bail commercial est composé d'un loyer minimum et d'un loyer calculé sur la base du chiffre d‘affaires du preneur n'interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative ;  le juge statue alors selon les critères de l'article L. 145-33 du code de commerce, notamment au regard de l'obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l'abattement qui en découle (Civ.3°, 3 nov. 2016, 15-16 826 et 15-16 827 à paraître au Bull. et au Rapport de la cour de cassation).

Dans cette affaire, la société bailleresse avait donné à bail  locaux commerciaux situés dans un centre commercial pour une durée de dix ans ;  le bail stipulait un loyer composé d'un loyer de base minimum et d'un loyer additionnel représentant 8 % du chiffre d'affaires de la locataire et prévoyait, en cas de renouvellement, que, « dans les termes et conditions découlant de la législation en vigueur, le loyer de base sera fixé selon la valeur locative telle que déterminée par les articles 23 à 23-5 du décret du 30 septembre 1953 ou tout autre texte qui lui sera substitué », et qu'à « défaut d'accord le loyer de base sera fixé judiciairement selon les modalités prévues à cet effet par la législation en vigueur » ; la société bailleresse, qui avait accepté le principe de renouvellement, a saisi le juge des loyers commerciaux en fixation de la valeur du loyer minimum garanti ;

Pour rejeter la demande, l'arrêt aixois, partiellement cassé, avait retenu que l'existence d'une clause de loyer binaire induit une incompatibilité avec les règles statutaires relatives à la fixation du loyer puisque celui-ci, dans un tel bail, n'est pas fixé selon les critères définis à l'article L. 145-33 que le juge des loyers commerciaux a l'obligation d'appliquer, mais peut prendre en considération des éléments étrangers à cette énumération tel qu'un pourcentage sur le chiffre d'affaires réalisé par le preneur, que l'accord des parties et la liberté contractuelle dont il est l'expression ne permet pas d'écarter cette incompatibilité, que, si les parties peuvent librement stipuler s'agissant du loyer initial et peuvent, d'un commun accord, fixer par avance les conditions de fixation du loyer du bail renouvelé, elles ne peuvent que stipuler sur les droits dont elles ont la disposition, qu'en l'espèce, dans le débat judiciaire qui s'ouvre en raison du désaccord des parties, les dispositions de l'article L. 145-33 s'imposent au juge des loyers commerciaux qui ne saurait fixer par application d'autres critères que ceux que la loi lui prescrit le loyer du bail renouvelé qui ne peut en aucun cas excéder la valeur locative ;
La polémique est donc close, mais demeurera toujours pour les juges du fond «  l’appréciation de l’abattement » sur la valeur locative qui découle de cette fixation judiciaire. Les experts ne manqueront pas de formuler des propositions. En effet, il ne s’agit pas d’une simple déduction mathématique, mais d’une appréciation…

Jean Debeaurain