Revendication de propriété de l’assiette d’un chemin

Revendication de propriété de l’assiette d’un chemin contre une commune ayant classé celui-ci dans la voirie communale, alors qu’elle ne pouvait fonder son droit de propriété sur un titre ou sur la prescription acquisitive.

Une très intéressante décision a été rendue par la Cour de cassation à l’occasion d’une demande d'annulation d’un arrêté d'alignement  par lequel le maire d’une commune avait, en déterminant la limite de la voie publique, intégré dans celle-ci le chemin de desserte d’une propriété riveraine.

Le juge administratif ayant sursis à statuer dans l'attente d'une décision judiciaire à intervenir sur la propriété de ce chemin, les demandeurs ont assigné la commune en revendication devant le tribunal de grande instance. Ayant obtenu satisfaction sur l’essentiel du litige devant la Cour d’appel de Lyon, la commune déboutée a formé un pourvoi  en cassation.

La Cour de cassation juge tout d’abord, sur la compétence juridictionnelle, que la cour d’appel a exactement retenu que, si la juridiction administrative est seule compétente pour se prononcer sur l'appartenance d'une voie communale au domaine public ou privé de la commune, c'est à la condition que soit préalablement tranchée, par le juge judiciaire, la question de la propriété de l'assiette de cette voie lorsqu'elle est revendiquée par une personne privée ;

Sur les titres de propriété, elle approuve  les juges du fond  d’avoir  retenu  que la délibération du conseil municipal classant un chemin dans la voirie communale ne constitue pas un titre de propriété et que, en cas de revendication, il appartient à la commune de fonder son droit de propriété sur un titre ou sur la prescription acquisitive, et que, sans en dénier le caractère exécutoire, ni les délibérations successives du conseil municipal ayant notamment classé le chemin dans la catégorie des voies communales , approuvé le tableau de classement de ces voies  ou approuvé la carte communale , ni le plan de réorganisation foncière homologuant le plan des voies communales, devenu définitif à la suite d’un arrêté préfectoral , ni l'arrêté d'alignement individuel  ne constituaient des titres de propriété ;

En revanche, sur l’absence de voie de fait  et l’astreinte, prononcée par la cour d’appel afin de procéder au déclassement du chemin, elle estime qu'en statuant ainsi, alors que, en l'absence de voie de fait, il n'appartient pas au juge judiciaire d'enjoindre à l'administration de déclasser un bien ayant fait par erreur l'objet d'une décision de classement dans la voirie communale, et qu'un tel classement, bien qu'illégal, n'est constitutif d'une voie de fait que s'il procède d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à l'un des pouvoirs de l'administration, la cour d'appel a violé l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.
(Civ. 3°,16 mai 2019, n° 17-26210, Bull.)

A l’occasion de cette décision, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure sur la compétence des juges administratifs à statuer sur l’appartenance des voies communales au domaine public ou privé des communes sous réserve que la question de la propriété de son assiette revendiquée par un particulier soit préalablement tranché par la juridiction judiciaire, celle –ci veillant au respect de la propriété privée.

Sur les titres de propriété, quelles que soient les actes administratifs pris par les communes, ils ne constituent pas des titres fondant un droit de propriété. Par ailleurs la cour vise comme mode d’acquisition de la propriété communale la prescription acquisitive, ce qu’elle avait déjà admis dans quelques décisions antérieures (cf. notamment, Civ. 3°, 1er fév 2018, n° 16-23200 ; sur ce problème, voir Jean Debeaurain, Guide des chemins ruraux et des chemins d’exploitation, Edilaix , 6° éd. 2018, n°34-1) .

Enfin elle rappelle que l’astreinte ne se justifie qu’en présence d’une voie de fait. La voie de fait a été définie par le tribunal des Conflits (17 juin 2013, n°3911) de façon restrictive : « … il n’y a voie de la part de l’Administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou  la réparation, que dans la mesure où l’Administration soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portante atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattaché un pouvoir appartenant à l’autorité administrative ».

En l’occurrence, le maintien de ces actes administratifs n’entrait pas dans cette définition.

Avec cette décision, la Cour de cassation fait la synthèse des difficultés de nature à se présenter dans ce type de contentieux dont les communes sont mal informées même depuis l’ordonnance du 7 janvier 1959, sensée avoir mis de l’ordre en ce domaine.

Jean Debeaurain